L’Affaire des fiches : un scandale républicain et maçonnique visant les catholiques
L’affaire des fiches a laissé une empreinte indélébile dans l’histoire politique de la France. Sous le gouvernement du général André, un système de fichage politique et religieux des officiers a été mis en place, dans le but de favoriser les républicains et de freiner les carrières des militaires catholiques.
- Brève histoire du général André et de la franc-maçonnerie
- Les Fiches du Grand Orient et leur fonctionnement
- La découverte du système des fiches
- 4 Novembre : Syveton assène une correction au Général André
- Arrestation du député nationaliste
- Assasinat de Gabriel Syveton
- Les motivations républicaines et maçonniques derrière le système de fichage
- Conséquences de l'affaire des fiches
Brève histoire du général André et de la franc-maçonnerie
Le général André, chef du ministère des armées à l’époque, était un homme politique influent et membre de la franc-maçonnerie selon de nombreuses rumeurs (son appartenance à la secte ne fait que peu de doutes bien que cela soit quasi-impossible à prouver). La franc-maçonnerie, et plus précisément le Grand Orient de France, a joué un rôle clé dans l’orchestration de l’affaire des fiches.
Le Grand Orient de France est une obédience maçonnique qui a des membres haut placés dans l’administration et l’armée. Cette société secrète à réussie à tisser des liens étroits avec le pouvoir politique et les institutions républicaines depuis la révolution française. C’est par le biais de cette organisation que les fiches ont été utilisées pour anéantir et freiner les carrières des officiers catholiques et nationalistes.
Les Fiches du Grand Orient et leur fonctionnement
Le but des collecteurs de données était de rassembler des informations sur les convictions politiques et religieuses des officiers de l’armée française. Ces informations étaient ensuite enregistrées sur des fiches individuelles, qui étaient ensuite utilisées pour évaluer la loyauté politique et religieuse des officiers.
Les méthodes utilisées pour collecter ces informations étaient discutables et controversées. Des agents infiltrés étaient chargés de recueillir des renseignements sur les officiers, en s’intégrant dans leur entourage et en observant leurs activités quotidiennes. Ces informations étaient ensuite transmises aux autorités compétentes pour être enregistrées sur les fiches.
De cette façon, les convictions religieuses des officiers sont aussi très nettement évoquées. Si certaines fiches mentionnent une indifférence politique supposée ou une difficulté à se prononcer, un grand nombre porte des indications à charge comme “va à la messe”, “fait élever ses enfants chez les frères”, “réactionnaire et catholique convaincu”, “s’est rendu ridicule il y a quatre ans en tombant à genoux au passage d’une procession”, “quand on porte un nom pareil [à particule], on ne peut pas être républicain”, “ami intime de l’évêque”, “a accepté il y a trois ans de représenter un lieutenant titré dans une affaire de duel avec le rédacteur d’un journal républicain”, “a recueilli à sa table un capucin lors de la fermeture du couvent de Castres” ou à décharge comme “dévoué au gouvernement”
Au ministère de la Guerre, ces fiches servent à classer les officiers dans deux dossiers : les officiers catholiques et nationalistes — à écarter des promotions — sont rangés dans le dossier Carthage (l’appellation rappelant le mot de Caton l’Ancien, Delenda Carthago), les officiers républicains et libre-penseurs — dont le cabinet d’André cherche à accélérer la carrière — trouvent leur place dans le dossier Corinthe (référence à Non licet omnibus adire Corinthum : « Il n’est pas donné à tout le monde d’aller à Corinthe »). .
La découverte du système des fiches
La source : l'ex franc-maçon Bidegain
En , Jean-Baptiste Bidegain, adjoint du secrétaire-général de l’obédience maçonnique du Grand Orient, vend à l’abbé Gabriel de Bessonies un lot de fiches qu’il a copiées au cours de son travail au secrétariat-général du Grand Orient, après lui avoir révélé leur existence début 1904.
Bidegain en effet est « revenu à la foi catholique après un deuil et des déceptions personnelles », ce qui l’aurait poussé à changer de bord et a quitter l’organisation maçonnique.
La somme d’argent reçue par Bidegain est incertaine mais oscillerait entre 500 francs et 40 000 francs selon les sources.
Le rôle des députés nationalistes Syveton et Guyot de Villeneuve
Un certain Gabriel Syveton, député nationaliste et fondateur de la Ligue de la patrie française joue un rôle de premier plan dans la révélation du scandale des fiches. Il semblerait que les fonds de la Ligue — sur lesquels Syveton à la main — aient servi à payer Bidegain.
Le , Guyot de Villeneuve (également député nationaliste et membre de la Ligue de la patrie française) rencontre l’abbé Gabriel de Bessonies et photographie un certain nombre des fiches fuitées par Bidegain. Le , il revient consulter en détail le dossier, accompagné de son ami Syveton. Tous deux authentifient les fiches et décident d’un plan d’action
4 Novembre : Syveton assène une correction au Général André
Le 28 octobre, Jean Guyot de Villeneuve interpelle le gouvernement à la Chambre et révèle les relations continuelles entre le Grand Orient et le cabinet du ministre de la Guerre.
Le , il revient de nouveau à la charge en apportant la preuve matérielle de la responsabilité du général André : un document paraphé par lui faisant explicitement référence aux fiches du Grand Orient. Il accuse alors frontalement le ministre de la Guerre d’avoir menti à la Chambre lors de la séance du .
Néanmoins, malgré les preuves accablantes, Guyot de Villeneuve ne parvient à faire chuter le gouvernement. En effet, cela n’a rien de surprenant puisqu’à l’époque plus de la moitié du gouvernement était gangrené par la secte maçonnique. La participation de francs-maçons aux instances politiques de la Troisième République est largement attestée par une présence importante de ministres participant aux gouvernements successifs ainsi que de nombreux postes d’élus nationaux ou locaux.
Bien que Guyot de Villeneuve ne parvient pas à renverser le gouvernement, c’est alors que Syveton s’avance vers le banc des ministres et, par deux fois, crochette vigoureusement le général André, ministre de la Guerre, qui tombe de son pupitre. Ce geste déclenche une bagarre généralisée : des députés de la majorité se jettent sur Syveton, qui se replie vers les gradins nationalistes ; Henri Brisson suspend précipitamment la séance.
À la reprise, Brisson propose la censure avec exclusion temporaire du député ; cette dernière est votée par la gauche et des membres du centre et de la droite. Syveton refusant de sortir, la séance est à nouveau levée et le piquet de garde, l’escorte hors du Palais Bourbon.
Arrestation du député nationaliste
À la suite de l’incident du , Gabriel Syveton est poursuivi pour son acte sur le ministre de la Guerre.
Ayant reconnu avoir prémédité son agression, il est envoyé devant la Cour d’assises. Pour Joseph Reinach, « c’était pour lui la certitude d’un procès retentissant, la probabilité d’un acquittement triomphal ou d’une condamnation légère ». D’après George Bonnamour, dès que Syveton apprend la nouvelle, « sa joie éclate », car il escompte que ce procès ne sera pas le sien, mais celui du Général André.
Dans son plaidoyer, rédigé à l’avance, le député nationaliste écrit :
Je l’ai souffleté, non par derrière, mais par sa face, non pas pour le blesser matériellement, mais pour l’outrager, non pas pour satisfaire une animosité personnelle, mais pour venger l’armée livrée et la patrie trahie
Assasinat de Gabriel Syveton
Le 8 décembre 1904, la veille de son procès devant la Cour d’assises, le député nationaliste est retrouvé mort dans son cabinet de travail. Il est découvert à 15 heures par son épouse, la tête dans la cheminée, recouverte d’un journal, et à proximité du tuyau d’un radiateur à gaz.
Le soir même, les journaux consacrent leurs gros titres à cette “mort mystérieuse”.
Alors que les républicains évoquent une mésentente dans son ménage qui pourrait être un mobile de meurtre pour sa femme, les nationalistes, accusent un assassinat, commandité pour l’un par la police du gouvernement Combes et pour l’autre par la franc-maçonnerie.
Finalement, la justice conclura au suicide.
En 1989, l’historien François Vindé avance : “le mystère de sa mort ne sera jamais éclairci, même si avec le temps la thèse du suicide a perdu en vraisemblance. Deux témoignages sont en effet venus, après coup, donner des arguments nouveaux aux tenants de l’assassinat”.
Le premier est celui de François Maurice, franc-maçon et ancien agent de la Sûreté : le , peu avant de mourir, il affirme avoir été payé 10 000 francs pour s’introduire chez Syveton, le tuer et récupérer les fiches du Grand Orient de France.
Le second témoignage est celui d’une religieuse de l’Immaculée-Conception d’Auteuil — obtenu par George Bonnamour en 1908 — qui se voit interdite par sa hiérarchie de témoigner publiquement car elle est “tenue au secret professionnel” ; Bonnamour le livrera dans un manuscrit déposé à la Bibliothèque nationale de France en 1951.
Les motivations républicaines et maçonniques derrière le système de fichage
Le système de fichage religieux réalisé par l’obédience maçonnique et le gouvernement du général André avaient des motivations politiques claires. Ils cherchaient d’une part à renforcer les positions républicaines au sein de l’armée, en éliminant les officiers catholiques ou conservateurs qui pouvaient représenter une éventuelle menace pour le régime républicain, et d’autre part, affaiblir encore davantage l’influence du catholicisme dans la société.
En favorisant les officiers républicains et en freinant les carrières des officiers catholiques, le gouvernement espérait consolider son pouvoir et maintenir une armée loyale au régime républicain.
Par ailleurs, les loges et le gouvernement Combes avaient certainement déjà planifiés la loi du 9 Décembre 1905 dite de “séparation de l’Église et de l’État” et souhaitaient via l’affaire des fiches, neutraliser ou limiter au mieux une éventuelle réaction des catholiques, encore majoritaires à cette époque dans la société.
Conséquences de l'affaire des fiches
Les répercussions de l’affaire des fiches sont allées bien au-delà du scandale lui-même. Elle a révélé de profondes divisions au sein de la société française et mis en évidence l’influence des sociétés secrètes comme la franc-maçonnerie sur les affaires politiques et militaires. Le scandale a également accentué la polarisation des relations déjà tendues entre les républicains et les catholiques en France.
En outre, l’affaire des fiches a eu des conséquences durables pour la France dans les années à venir. Le scandale a érodé la confiance du public dans les institutions militaires et gouvernementales, ce qui a eu de graves conséquences pendant la Première Guerre mondiale, alors que la France avait besoin d’une direction et d’une unité fortes. L’affaire a également conduit à des appels à la réforme au sein de l’armée et à une plus grande transparence dans les promotions afin de garantir que de tels abus de pouvoir ne se reproduisent plus.
En conclusion, l’affaire des fiches est un événement important de l’histoire de France qui a révélé les pratiques de fichage politique et religieux utilisées par le cabinet du général André et la franc-maçonnerie pour promouvoir les républicains et gêner les catholiques au sein de l’armée. L’action de Syveton, en dénonçant ce scandale, a mis en lumière le besoin de réforme et de transparence au sein des institutions gouvernementales. Les répercussions de cette affaire n’ont pas seulement été ressenties en France, mais ont également eu des conséquences durables pendant la Première Guerre mondiale.